Interview de Jean Barret, chirurgien dentiste engagé dans la transition écologique
Par le Dr Jean BARRET
Chirurgien-dentiste à Bordeaux
Depuis plusieurs années le Docteur Jean Barret a entrepris d’aligner ses engagements personnels avec son activité professionnelle. Son travail de thèse, l’évolution de sa pratique et plus récemment l’écriture de son "Guide du Cabinet Dentaire écoresponsable" en sont le témoin. Il exerce aujourd’hui avec 6 autres chirurgiens-dentistes tous mobilisés autour du même objectif : la transition écologique, avec à la clé une réduction de l’impact environnemental, mais également une amélioration de la qualité de vie et une progression du chiffre d’affaires en préservant une exigence constante du soin et de la prise en charge des patients.
Pour commencer, pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
DR JEAN BARRET : J’ai grandi dans le Sud-Ouest où j’ai fait mes études à la faculté de Bordeaux. Mes premiers remplacements, en 5ème année, je les ai faits à Mayotte et à la Réunion. J’ai rejoint ensuite directement le cabinet de mon père qui a exercé seul pendant 25 ans à Bordeaux.
Tous les deux attentifs à l'éco-responsabilité, nous avons réfléchi à bâtir ensemble une nouvelle structure. En 2018, avec un 3ème associé, nous avons ainsi monté un nouveau cabinet et actuellement nous sommes 6 dentistes dans ce cabinet.
La thèse que vous avez présentée en 2018 s’intitulait "Intégration du développement durable au cabinet dentaire". Pourquoi ce sujet ?
DR JEAN BARRET : À titre personnel, depuis quelques années nous avons essayé de réduire notre impact environnemental au quotidien : manger beaucoup moins de viande, tendre vers le zéro déchet, diminuer l’avion, limiter nos achats de neuf, etc. et l’idée a été de transposer cela à la sphère professionnelle.
Il y a eu plusieurs déclics. D’abord, la prise de conscience du volume des déchets : par les stages à l’hôpital, pendant les remplacements et également dans l’ancien cabinet où nous étions. Partout où je
passais je constatais à chaque fois un trop grand volume de déchets et de gaspillage. Le second déclic est lié à ma lecture du rapport du GIEC1 pendant ma thèse. Le rapport indiquait que pour maintenir le
réchauffement climatique à +2°C maximum d’ici 2100, il fallait passer en France de 11 tonnes d’émission de gaz à effet de serre par habitant en moyenne et par an à 2 tonnes. Ce rapport m'a alerté.
Comment êtes-vous passé de ce sujet de thèse à un plan d’action concret au sein de votre cabinet ? Par quoi avez-vous commencé ?
DR JEAN BARRET : Nous avons posé les jalons petit à petit. Le déménagement du cabinet dans de nouveaux locaux a été un élément important. Avant de déménager, nous avions commencé par le consommable : ce qui est simple à changer, le visible. Supprimer le plastique "inutile" pour le remplacer par du papier.
Lors du déménagement, nous avons démarré par le bâtiment avec un choix de matériaux les plus écologiques possibles. Nous nous sommes d’ailleurs heurtés à des limites : d’une part, nous ne sommes pas des spécialistes et notre architecte n’était pas non plus spécialisé dans la rénovation écologique. Cela a donc nécessité une attention particulière dans le choix des fournisseurs. Nous avons également repensé l’organisation du cabinet pour tout "protocoliser". Intégrer les processus pour l’équipe qui allait arriver nous a permis de mobiliser tout le monde. Chaque collaborateur s’est senti intégré dans cette démarche et a joué le jeu.
Qu’en est-il du coût lié à ces changements ?
DR JEAN BARRET : Je pense qu’en matière de perception du coût, la plupart des personnes transpose la situation au cas de l’alimentation biologique : on pense que ça coûte plus cher de manger bio, or ce n’est pas le cas pour tout. De la même façon, on peut penser qu’un cabinet écologique ce sont davantage de coûts, or ce n’est pas le cas. En effet, dans la transition on travaille aussi notre organisation et particulièrement le fait de regrouper les RDV. C’est là un point crucial de l’organisation et un levier de bénéfices.
Pouvez-vous nous en parler ?
DR JEAN BARRET : Effectivement, c’est très important et les impacts du regroupement des RDV sont multiples. D’un point de vue environnemental, l’impact est important car les patients limitent ainsi leurs déplacements.
Ensuite quand on voit moins de patients par jour, on a moins de stérilisation à faire, on utilise moins de consommables et la rentabilité du cabinet augmente.
En termes de qualité de vie et de stress, on gagne beaucoup aussi : moins de sentiment d’urgence, le secrétariat est désengorgé. On peut davantage se concentrer sur les traitements.
Et pour le patient, c’est un soin de meilleure qualité car on gagne en concentration. Pour les patients anxieux qui doivent venir plusieurs fois, réduire les déplacements est également un bénéfice car le stress est le plus souvent présent avant le rendez-vous au moment de se rendre au cabinet. Tout le monde est donc gagnant.
Quels conseils souhaitez-vous donner aux praticiens pour réussir ce passage aux RDV groupés ?
DR JEAN BARRET : La première chose à dire c’est qu’il s’agit d’un changement difficile. Il faut déshabituer les secrétaires à ne pas donner un RDV tout de suite à tout le monde, déshabituer les assistant.e.s aussi et faire accepter aux patients qu’il y aura parfois peut-être plus d’attente pour avoir un RDV.
Cette anticipation et ces modifications demandent des efforts, mais les contreparties méritent de persévérer. La rentabilité en terme de chiffre d’affaire est un très bon argument et correspond à une réalité. Il ne faut pas non plus oublier le gain de qualité de vie au cabinet dentaire lié à la baisse du nombre de patients par jour. Concrètement nous essayons de voir 8-10 à 15 patients par jour maximum. À titre de comparaison, mon père a travaillé 25 ans seul et voyait 30 à 35 patients par jour.
Quels sont vos prochains défis au sein de votre cabinet ?
DR JEAN BARRET : De façon très pratique on est en train d’essayer de passer au tout lavable pour la chirurgie. Normalement, quand on fait une chirurgie (pose d’implant ou autre) on recouvre le bloc opératoire de plastique jetable. À la fin du soin, on remplit une poubelle de 30 litres de polypropylène.
Nous sommes passés aux champs lavables avec une gamme de la marque italienne Pluritex. Ces champs sont lavables en machine et autoclavables jusqu’à 80 fois. On est en train de mettre en place le processus petit à petit, car il nous restait d’anciens stocks de champs jetables.
Alors bien sûr c’est une organisation avec plus de machines, plus de cycles de stérilisation. On attend d’ailleurs un deuxième autoclave pour mettre tout cela en place correctement.
Pour les patients c’est transparent et au niveau de l’asepsie il n’y a pas de danger.
Le deuxième défi que nous essayons de relever au cabinet, ce sont des séances de vraie prévention faites par les assistantes. Mais on se heurte à plusieurs difficultés : la nomenclature d’une part, elles ne sont pas assez valorisées, et par ailleurs le manque d’hygiéniste. C’est le problème en France.
Pourquoi vous êtes-vous lancé dans l’écriture de ce livre ?
DR JEAN BARRET : Mon souhait était de donner une impulsion et surtout que ça puisse servir de base de réflexion pour faire avancer le sujet, en espérant que cette initiative soit suivie par des travaux encore plus approfondis et pertinents. Entre adhérer à une idée et passer à l’action, il y a beaucoup de freins à lever surtout dans une structure qui est déjà organisée. L’objectif de ce livre est d’accompagner le changement et de lever ces freins.